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Néjia GHARBI : « L’absence de maturité des projets d’infrastructure notamment en PPP freine l’action de la CDC au niveau des grands projets»

ISIN : TN0009050014 - Ticker : PX1
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Avec 30 ans d'expérience dans le domaine du contrôle et de la gestion dans le secteur public, et fine connaisseuse du monde de financement et d'investissement, Madame Néjia GHARBI, Directrice Générale de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), est la mieux placée pour dire toute la vérité sur la situation du secteur de l'investissement public et des projets en partenariat public-privé (PPP).

 

Dans cette interview, Mme GHARBI revient sur l'activité du bras financier de l'Etat tunisien, les répercussions de la crise ukrainienne, le retard d'un accord avec le FMI et les perspectives de développement de la CDC sur les toutes prochaines années. Interview.

 

La CDC est-t-elle parvenue en 2022 à réaliser son programme annuel d'investissement dans un contexte national et international difficile ?

Chaque année, la CDC prépare son programme d'investissement qui cadre avec les dossiers déjà traités ou des opportunités qu'elle a pu détecter. 2022 a été une année difficile, en particulier pour le démarrage des grands projets et des projets en PPP. C'est ce qui fait que nos réalisations, en termes d'investissement, étaient un peu en décalage avec ce qui a été initialement prévu parce que nous nous attendions au lancement d'au moins deux grands projets en PPP.

Par rapport aux fonds d'investissement, nous avons initié des fonds qui tardent à démarrer pour des difficultés de lever des fonds à cause du contexte économique (Fonds Impact et Relais). Néanmoins, nous avons pu concrétiser l'initiative Aspire dédiée à la restructuration des PME et donner le coup d'envoi pour le fonds EMPOWER avec UGFS et TLG Capital, qui ont remporté l'appel d'offres pour gérer le fonds.

Nous avons également concrétisé des programmes avec l'Agence Française de Développement (AFD) à savoir le programme ENLIEN dédié à l'entrepreneuriat et à l'emploi des jeunes, clôturé en 2022, et le projet FAST dédié à l'entrepreneuriat féminin et à l'accélération qui a démarré en 2021 avec une mise en œuvre concrétisée à partir de 2022 et qui va être poursuivie en 2023.

Nous sommes aussi très bien avancés dans le programme de financement des startups et des PME innovantes financé par le gouvernement tunisien moyennant un prêt de la Banque mondiale et une contribution de la GIZ et la KFW. La mise en œuvre incombe à la CDC en collaboration avec SMART Capital et qui a pu apporter le soutien nécessaire à l'écosystème des startups.

Nous pouvons dire qu'il n'y a pas eu de gros investissements en raison d'un ralentissement à l'échelle nationale. Cela n'a pas empêché le déploiement d'un effort multiple sur les programmes et les activités que nous maîtrisons.

La raison d'être de la CDC est d'endosser le rôle du bras financier de l'État. Toutefois, l'investissement public est en recul constant sur les dernières années. Quel est l'impact de cette situation sur l'activité de la CDC ?

Le rôle de la CDC devient primordial lorsqu'il y a un ralentissement de l'investissement public (vu sa qualité d'investisseur contracyclique). En effet, nous sommes en discussion continue avec le secteur public pour revoir son mode de réalisation des projets. Désormais, Il ne faut plus compter sur l'endettement extérieur pour la réalisation des projets d'infrastructure, car il y a toujours un retard au vu de la différence du rythme d'investissement.

Nous nous orientons plus vers le mode d'investissement en PPP qui peut, d'un côté, résoudre le problème de recherche de financement, car c'est la partie privée qui s'en charge, et de l'autre côté une solution pour accélérer le rythme d'investissement profitant de la performance des opérateurs privés. D'ailleurs, le fait que l'État se désengage de l'investissement direct constitue un bon signe pour nous.

Nous prêchons toujours pour tester ce mode de financement afin de montrer que les résultats seront les mêmes si ce n'est meilleurs sur plusieurs plans tout en réduisant l'engagement financier de l'État avec une amélioration de la rentabilité et de l'efficacité, par l'implication de la partie privée qui a l'habitude de mener à bien ce type d'investissement.

Nous intervenons en assistant la partie publique car la partie privée est suffisamment conseillée et entourée des experts nécessaires pour affronter ce type de projets. Par contre, la partie publique compte uniquement sur ses propres moyens. Une assistance technique par la mobilisation des expertises pointues aiderait à mieux négocier les contrats en PPP.

 

Y avait-il des priorités d'investissements pour 2022 ?

Au cours de l'année dernière, nous nous sommes focalisés davantage sur la fragilité de l'écosystème et des Petites et Moyennes Entreprises (PME), sans pour autant négliger les sujets d'intérêt pour la CDC. Notre rôle repose aussi sur le soutien des PME et les entreprises qui trouvent des difficultés à se faire financer dans un contexte  difficile.

Il va sans dire que ces dernières années ont été marquées par les répercussions de la crise sanitaire du Covid où pas mal de PME, même les plus performantes, ont eu des difficultés. Notre rôle est de penser à offrir à ces structures des mécanismes de financement innovants qui permettent de sortir du creux de la vague.

Nous avons proposé la ligne Aspire d'un montant des 100 millions de dinars, pratiquement épuisée, qui a permis de souscrire à des fonds de restructuration qui se chiffrent déjà à quatre. Le besoin des PME reste le refinancement ou plus exactement la restructuration financière. Les PME ont besoin d'une solidité financière, notamment une capitalisation solide qui leur permet d'affronter les moments de difficulté.

C'est là qu'interviennent les fonds de retournement, ou fonds de restructuration. Avec l'épuisement imminent de la ligne Aspire, nous avons proposé un fonds qui permettrait la restructuration ainsi que la relance des PME et nous l'avons listé parmi les mesures d'urgence pour la relance de l'économie.

Le tissu économique se fonde sur des PME qui restent assez fragiles et qui ont besoin d'être appuyées et accompagnées pour pouvoir sortir de cette phase mais aussi d'aller vers un potentiel important. Une fois restructurées, ces PME deviennent éligibles au financement bancaire. En effet, la majorité des PME rencontrent des difficultés au niveau des paiements et des recouvrements puisque les banques ne peuvent plus financer les sociétés accusant un défaut de remboursement.

Les institutions bancaires ont également compris qu'il y a une accélération du besoin de financement en capital et sont donc en train de mettre des participations dans les fonds d'investissement, ce qui peut résoudre le problème de défaut de capitalisation des PME sur le long terme.

Ces participations peuvent revenir par la suite dans le circuit de financement bancaire puisqu'une fois le problème structurel est résolu, l'accompagnement se fait par des crédits de gestion qui restent jouables et moins risqués pour les banques.

Ce qui est important reste nos investissements dans les fonds et dans le marché financier, même si notre action au niveau des grands projets n'a pas connu l'élan espéré. La CDC reste un agent économique contracyclique qui observe l'intérêt général, ce qui se traduit par la création de fonds où plus de risque est pris, mais un risque toujours mesuré avec une rentabilité différée qui traduit également l'intervention longtermiste de la caisse.

 

En tant que directrice générale de la CDC, l'impact d'un accord avec le FMI ou d'autres bailleurs aura-t-il de grands effets sur votre structure ?

Certes qu'un accord avec le FMI faciliterait la tâche de tous les intervenants économiques et financiers. L'accord en soi ne couvrira pas l'ensemble du besoin de la Tunisie mais constitue une condition indispensable pour plusieurs bailleurs et investisseurs étrangers pour poursuivre leur coopération avec notre pays.

La CDC est les autres acteurs publics et privés sont conscients de l'avenir de notre chère Tunisie, œuvrent chacun de son côté avec ses moyens pour passer le cap et surmonter cette crise. Nous sommes tous convaincus que la solution ne tardera pas. La Tunisie retrouvera sa prospérité grâce à la créativité et l'ingéniosité de ses enfants.

Nous avons dépassé auparavant d'autres crises. Demain commence aujourd'hui et nous n'avons pas l'intention de laisser passer une telle opportunité car de l'obscurité jaillit la lumière.

 

En 2023, à mi-chemin de la stratégie 2021-2025, les objectifs de réalisation de la stratégie de développement de l'activité de la Caisse sont-ils maintenus ?

Le volet transformation digitale a pris le gros de notre effort sur la période mais nous travaillons également sur le volet transition énergétique et écologique, ce qui nous pousse à être plus actifs avec les PME exportatrices car il y a la contrainte carbone pour l'exportation vers l'Europe qui nécessite des mécanismes de financement et d'accompagnement pour affronter l'échéance de 2030.

Nous voulons renforcer notre activité sur le marché financier à travers sa dynamisation et préparer les PME à des introductions en bourse et sur le marché alternatif. D'ailleurs, dans les fonds d'investissement où nous sommes souscripteurs, nous accordons une priorité aux exits sur le marché boursier mais aussi pour nos exits des participations directes. Nous considérons qu'une sortie en bourse est beaucoup plus valorisante aussi bien pour la PME que la CDC.

 

Quelles sont vos ambitions en termes de développement ?

Nous voulons faire notre première sortie pour lever des obligations vertes pour financer des projets éligibles à ce type de financement. Nous avons été freinés par le défaut de pipe consistante de projets matures permettant de faire cette première sortie. Nous nous entretenons actuellement avec les ministères pour initier les projets qui peuvent être financés par ces obligations.

Nous voulons saisir le potentiel de financement existant à l'échelle internationale pour les véhicules vers des projets tunisiens. Nous nous faisons déjà assister par la Banque mondiale pour la préparation du Framework pour la sortie sur le marché des obligations vertes. Nous collaborons également avec notre consœur italienne, mandatée par l'Union européenne, qui dispose d'un fonds dédié à Finance climat qui met à disposition 4 milliards d'euros pour financer des projets sur le Vieux-Continent ou dans les pays du sud de la Méditerranée. 

Plusieurs financements sont disponibles mais il faut aller les chercher par l'identification et par l'initialisation de ces projets. Nous considérons qu'il est nécessaire de devenir plus actif et agressif pour démarrer ces projets et lever les obstacles. Nous menons toujours une action de sensibilisation pour consolider notre part de marché ce qui permettra de renforcer l'investissement à l'échelle nationale mais aussi en Afrique.

Avec notre savoir-faire nous pouvons identifier l'impact, faire le suivi et les Reporting extra-comptables nécessaires qui doivent être soumis aux bailleurs de fonds qui vont financer ce type de projets. Nous essayons d'avancer sur l'accréditation du "  Green Climate Fund " des nations Unis car la procédure requiert l'existence de projets verts dans le portefeuille .

D'un autre côté, nos programmes ont pour objectif de booster les Startups. Et c'est là où nous sentons l'impact de tous ces financements drainés pour les offrir à l'écosystème. Soutenir les incubateurs permet d'aider les Startups à avoir les financements qu'il faut. Pour ce faire, la règlementation de change doit être adaptée aux besoins des Startups et nous misons sur un positionnement de la Tunisie comme hub d'innovation et leadeur des startups technologiques .

Nous avons une peur de perdre la majorité des Startups qui se délocalisent rapidement en raison de la facilité de lever des fonds ailleurs. Il est clair que disposer d'un compte en devises est bénéfique pour les Startups. Cependant, il faut également s'assurer de garder les fonds en devises et gérer l'investissement afin d'amortir les éventuels chocs des exits.

Propos recueillis par Omar El Oudi

Publié le 08/02/23 10:02

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